Au bord du gouffre

Lorsque j’ai écrit mon dernier billet sur l’épuisement professionnel dans le milieu culturel, je ne savais pas encore qu’une campagne autour de la main-d’œuvre en culture était en train de voir le jour. Ce n’est certainement pas que le simple fruit du hasard. Cette coïncidence témoigne de la gravité de la situation dans laquelle se trouvent les travailleuses et les travailleurs du secteur culturel.

La campagne La culture, le cœur du Québec – Pour des carrières durables

La campagne intitulée La culture, le cœur du Québec – Pour des carrières durables a été lancée à Québec le 14 février dernier. Rassemblant plus de 50 associations et regroupements du milieu culturel de partout au Québec, la campagne vise à encourager le gouvernement du Québec à adapter ses politiques et ses interventions aux travailleuses et travailleurs atypiques, dont celles et ceux du secteur culturel qui représentent 150 000 professionnels au Québec. Rappelons que les travailleurs culturels, artistes et artisans forment 3,7 % de la population active et le secteur culturel équivaut à 3,5 % du PIB.

Pour faire suite à cette première campagne, qui a été bien relayée par les grands médias, les associations et les regroupements nationaux et régionaux souhaitent créer une coalition nationale. Le premier mandat de cette coalition sera de défendre les enjeux entourant la main-d’œuvre dans le milieu culturel : employabilité, précarité, formation continue, filet social, transition de carrière, etc.

La constance de la précarité

Interpellé par cette campagne, j’ai échangé, ces derniers temps, avec plusieurs artistes et travailleurs culturels à propos de ces questions. Bien entendu, surcharge de travail, bénévolat, multitâche, cumul de plusieurs emplois, conditions salariales dérisoires, précarité d’emploi, plan de retraite inexistant, etc., sont autant de sujets qui reviennent invariablement. Le milieu culturel semble non seulement au bord de l’épuisement généralisé, mais également au bord du gouffre si rien n’est fait.

Dans les années 1980, je faisais partie de ceux, et nous étions nombreux, qui ont choisi de travailler dans des conditions précaires, car nous croyions en la cause culturelle et nous souhaitions que la culture québécoise contemporaine se déploie et s’épanouisse. Nous avions fait ce choix, sûrs que les choses s’amélioreraient pour les générations futures. Force est de constater que ce n’est malheureusement pas le cas.

Non seulement les travailleuses et les travailleurs culturels ne se sont pas enrichis, mais ils se sont appauvris, contraints à jongler avec une constante précarité. Il n’est pas rare de voir des postes en culture affichés avec un taux horaire équivalant à celui d’il y a 25 ans... Or, l’indice du coût de la vie augmente, quant à lui, d’environ 1 à 2 % par année. Je vous laisse faire le calcul! Et, je ne parle même pas ici de l’engagement bénévole. Avons-nous raté quelque chose? N’avons-nous pas crié assez fort? Sommes-nous trop dévoués?

Un système trop performant?

Malgré l’insuffisance de moyens et le sous-financement chronique, nous avons réussi à créer un système hyperperformant, très bien rodé, conduit par des ressources professionnelles compétentes et souvent, surqualifiées. Mais, ce système fonctionne principalement grâce à la bonne volonté, à l’engagement et au dévouement de ses ressources humaines. Peut-être serait-il temps que tous les travailleuses et travailleurs culturels calculent la vraie valeur de leur travail et, chiffres à l’appui, démontrent à l’État que le milieu culturel est largement déficitaire? Si demain matin, ils décidaient, unanimement, de se faire rémunérer à leur juste valeur, le milieu culturel s’effondrerait sans doute après quelques mois, à bout de liquidité. Pour que ce scénario catastrophe ne devienne pas réalité, un engagement concret de l’État et des différents acteurs clés de la société s’avère indispensable.

Franck Michel

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